Le dugong nage en eaux peu profondes, sa principale activité consistant à se nourrir sur les herbiers de la baie. (Alor, Indonésie, juillet 2018)
Le dugong nage en eaux peu profondes, sa principale activité consistant à se nourrir sur les herbiers de la baie. (Alor, Indonésie, juillet 2018)

Le dugong est une drôle de sirène

#Indonésie #Alor

  Indonésie : Alor + Halmahera + Sumbawa - juillet 2018

On l’appelle dugong ou “vache marine”. J’ai eu la chance d’observer cet animal fascinant dans son environnement naturel, en Indonésie.

COVID-19. Peut-on voyager en Indonésie au départ de la France ? À la date où j’édite ces lignes (7 juin 2022), les voyageurs étrangers sont à nouveau autorisés à entrer en Indonésie sans quarantaine. Il n’y a plus besoin de présenter un test PCR à l’arrivée si l’on est vacciné. Le Visa on Arrival (VoA) touristique de 30 jours est rétabli dans tous les aéroports (500 000 IDR, environ 35 €, renouvelable une fois), le visa B211A-tourism est lui aussi à nouveau valable. Sont tout de même demandés : un certificat de vaccination deux ou trois doses depuis au moins 14 jours (une dose pour le Johnson & Johnson), une assurance couvrant le Covid-19 (pour un montant d’au moins 13 400 € environ), ainsi que l’enregistrement sur l’application PeduliLindungi pour smartphone (iOS ou Android). Pour des infos réactualisées régulièrement sur la situation sanitaire et le tourisme en Indonésie, je vous invite à visiter cette page de l’agence BaliAutrement.

Un biologiste marin à Alor

En ce mois de juillet 2018, je débarque dans l’archipel d’Alor, dans l’est de l’Indonésie, non loin du Timor. Je m’installe pour huit jours sur l’île de Pantar chez Alor Divers. Un chouette petit resort de plongée créé par un couple franco-slovène, Gilles et Neya.

On y loge face à la mer, dans des bungalows en bois, simples mais confortables, répartis sur une longue plage déserte. J’y avais déjà séjourné en 2012, ce qui m’avait permis de découvrir les magnifiques récifs coralliens de l’archipel, balayés par des courants imprévisibles.

Sur place, j’ai l’immense plaisir de retrouver le biologiste marin Steven Weinberg, avec qui j’avais filmé et photographié des requins-baleines deux mois plus tôt, en mai 2018, aux Philippines, lors d’une croisière-plongée à Tubbataha, parc marin exceptionnel inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

Cette fois-ci, Steven est à Alor pour accompagner un petit groupe de touristes plongeurs, dans le cadre d’un circuit “bio” (biologie) organisé par l’agence Safari Bali.

Quand j’arrive, il me confie avec un sourire en coin qu’il a une nouvelle aventure à me proposer. Une mini-expédition pour aller voir un dugong !

Il a organisé ça avant l’arrivée des derniers plongeurs qui doivent se joindre au groupe, ça ne fait pas partie du programme officiel. Steven a déjà pu observer l’animal quelques jours plus tôt et il veut y retourner pour faire des photos, pour son prochain livre.

Forcément, je ne résiste pas à une proposition aussi alléchante. La seule fois où j’ai vu un dugong c’était de loin, une ombre furtive dans le bleu, dans les eaux de l’île de Bangka, dans le Nord-Sulawesi.

Le dugong est un sirénien

Le dugong ? C’est un mammifère marin qui appartient l’ordre des “siréniens”, précise la fiche Wikipédia. J’adore… Les scientifiques chargés de la classification des espèces sont de vrais poètes.

Comme son cousin le lamantin, le dugong serait en effet à l’origine du mythe des sirènes. Mais dans la vraie vie, l’animal tient plus de la bête que de la belle… Ceci dit, depuis la surface, on comprend qu’il puisse faire illusion.

Une ombre approche... Une sirène ? Non, un dugong ! (Alor, Indonésie, juillet 2018)
Une ombre approche… Une sirène ? Non, un dugong ! (Alor, Indonésie, juillet 2018)

Sous l’eau, le dugong a une bouille sympa. Mais mieux vaut ne pas s’y fier. Un humain barbotant en PMT (palmes-masque-tuba) ne fait pas le poids, face à cet animal puissant et massif, qui est aussi très vif et rapide quand il nage.

Celui que j’ai vu et photographié à Alor, un mâle pas timide du tout, mesurait près de 3 mètres de long et devait bien peser dans les 300 kg. Bref, une bête pas franchement sexy et impossible à confondre avec une sirène. Les individus les plus gros peuvent, paraît-il, atteindre 4 mètres et 400 kg…

Le dugong nage en eaux peu profondes, sa principale activité consistant à se nourrir sur les herbiers de la baie. (Alor, Indonésie, juillet 2018)
Le dugong nage en eaux peu profondes, sa principale activité consistant à se nourrir sur les herbiers de la baie. (Alor, Indonésie, juillet 2018)

Une espèce menacée

La principale occupation de ce bestiau végétarien a priori inoffensif consiste à brouter comme une vache les herbiers sous-marins (jusqu’à 40kg par jour, m’apprend Steven), en eau peu profonde, le long des côtes. Et donc à proximité des hommes, qui ont peu à peu décimé les populations de dugongs dans l’océan Indien et le Pacifique…

Résultat, l’espèce est aujourd’hui “vulnérable” et “menacée”, selon l’UICN (l’Union internationale pour la conservation de la nature) et de la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction).

Quelques liens pour en savoir plus :
Sur le site WWF France → Dugong, une sirène en danger
La fiche sur le site Doris → Le dugong
En anglais → Dugong and Seagrass Conservation Project

On ne sait pas trop combien il y a de dugongs dans le monde. J’ai déniché la carte ci-dessous, qui donne approximativement leur localisation :

(Source : Wikimédia / Chermundy / IUCN / CC BY-SA 3.0)
(Source : Wikimédia / Chermundy / IUCN / CC BY-SA 3.0)

On peut en croiser en mer Rouge en Égypte. Dans l’océan Indien au Mozambique, à Madagascar, au Sri Lanka. Dans les eaux des Philippines, de la Thaïlande, de la Malaisie, de l’Indonésie, de l’Australie, ainsi qu’en Papouasie Nouvelle-Guinée et jusqu’au Vanuatu…

Mais l’animal est devenu très rare. En rencontrer un est un événement pour les plongeurs férus d’observation animalière.

Une mini-expédition

Steven et moi avons rendez-vous sur une plage, où nous attend un étroit bateau traditionnel multicolore, dont les balanciers sont des tubes en PVC peints de bandes bleues et blanches. On enfile nos combinaisons vite fait et on laisse le reste de nos affaires dans la voiture du gars qui nous a convoyés.

À bord, un type un peu intimidant, qu’on devine être le chef de ce “dugong tour”, donne des ordres brusques. Il n’a vraiment pas l’air commode. Deux hommes d’équipage nous désignent notre place à la poupe de la barcasse et nous aident à caser nos encombrants caissons photographiques étanches sur la minuscule plateforme…

Pak Oneh, sur son bateau multicolore. (Alor, Indonésie, juillet 2018)
Pak Oneh, sur son bateau multicolore. (Alor, Indonésie, juillet 2018)
Depuis le bateau, tout le monde guette avec impatience le dugong. (Alor, Indonésie, juillet 2018)
Depuis le bateau, tout le monde guette avec impatience le dugong. (Alor, Indonésie, juillet 2018)

Avec nous, il y a trois autres touristes, des Américains, installés à la proue. Le moteur de récup’ qui fait tourner l’hélice pétarade bruyamment. Une fois au large dans la baie peu profonde, le bourru capitaine se met à psalmodier vers la mer. On devine qu’il appelle le dugong, à sa manière…

Une fois le moteur coupé, nous n’attendons pas longtemps. Les hommes d’équipage ont l’œil. Ils repèrent tout de suite le dugong qui approche, alors que nous n’avons rien vu du tout… La bête va et vient, tourne autour de la coque, repart. Il faut être patient.

Le dugong réapparaît soudain près du bateau. On l’entend expirer et inspirer, je vois les clapets de ses énormes narines s’ouvrir et se fermer, juste devant les balanciers. Ce souffle presque humain est troublant, ça me rappelle ma première baleine en Polynésie.

Notre capitaine prend le temps d’observer le comportement du dugong, avant de nous autoriser à nous mettre à l’eau, Steven et moi, qui souhaitons faire des images sous la surface. Nous patientons un moment, surveillant les allées et venues du dugong.

Enfin, nous pouvons prendre nos masques et tubas, nos appareils photo et nous glisser le long de la coque. Mais pas question de nager ni de s’éloigner ! Malgré la barrière de la langue, le capitaine se fait bien comprendre par gestes en faisant les gros yeux. On est censés rester accrochés d’une main au bateau.

C’est un peu frustrant, mais je comprends mieux ces consignes très strictes en voyant évoluer le dugong sous la surface. C’est à la fois pour notre sécurité et pour limiter les interactions avec l’animal, car celui-ci n’hésite pas à venir au contact. Des élans amoureux totalement fascinants, mais pas très rassurants…

Le dugong n'hésite pas à venir me lorgner de très près... (Alor, Indonésie, juillet 2018)
Le dugong n’hésite pas à venir me lorgner de très près… (Alor, Indonésie, juillet 2018)

Malgré son corps massif, le dugong est souple et agile. Il a une tête faussement débonnaire avec de petits yeux inquisiteurs et un drôle de muffle aplati en-dessous, qui lui permet de “brouter” les herbiers sous-marins.

J’avoue, je ne suis pas très à l’aise quand je le vois tout à coup foncer droit sur moi. 😱 Instinctivement, je me transforme direct en bernique, en mode ventouse contre la coque du bateau…

Déçu par mon manque de réaction, l’animal préfère jeter son dévolu sur Steven plus hardiment accroché à un balancier à quelques mètres de moi. Nous découvrons alors les assauts passionnés dont est capable un mammifère marin envers un biologiste marin… 😂 Pas si facile de faire des photos d’un dugong aussi entreprenant.

Au retour, Steven et moi décidons de surnommer l’animal “le dugong lubrique” en raison d’un détail de son anatomie particulièrement saillant. On en rit, on blague, on est surtout ravis de cette rencontre exceptionnelle avec un animal si rare. Cette mini-expédition est un succès.

Collée à la coque du bateau derrière moi, j'admire cette drôle de sirène... (Alor, Indonésie, juillet 2018)
Collée à la coque du bateau derrière moi, j’admire cette drôle de sirène… (Alor, Indonésie, juillet 2018)
Aucun doute, ce dugong est un mâle... (Alor, Indonésie, juillet 2018)
Aucun doute, ce dugong est un mâle… (Alor, Indonésie, juillet 2018)
Une excursion inoubliable ! (Alor, Indonésie, juillet 2018)
Une excursion inoubliable ! (Alor, Indonésie, juillet 2018 – Photo par Steven Weinberg)

Des dugongs et des hommes

Notre bourru capitaine lui aussi semble content. Après nous avoir ramené à bon port, il se décide même à sourire et pose fièrement avec son tee-shirt du programme local de conservation des dugongs pour la photo souvenir.

Pak Oneh, le "monsieur dugong" qui organise les sorties d'observation dans la baie. (Alor, Indonésie, juillet 2018)
Pak Oneh, le “monsieur dugong” qui organise les sorties d’observation dans la baie. (Alor, Indonésie, juillet 2018)

J’en apprendrai davantage sur ce singulier personnage plus tard, quand je disposerai d’une connexion internet fiable, à travers plusieurs articles parus dans des médias indonésiens et sur le site du WWF.

“Pak Oneh”, de son nom complet Onesimus Laa, est le protecteur des dugongs. Dans le court documentaire ci-dessous, l’ange gardien des siréniens se présente comme un malfrat repenti, devenu un écologiste engagé, qui agit désormais pour le bien de sa communauté et de l’environnement.

Ce film d’une douzaine de minutes (sous-titré en anglais) tourné fin 2017 et mis en ligne sur YouTube en juin 2018, a été réalisé avec l’acteur indonésien Arifin Putra, pour promouvoir les actions locales du Dugong and Seagrass Conservation Project. Créé à Abou Dabi, ce programme environnemental, soutenu entre autres par l’Onu, a pour mission d’enrayer la disparition des dugongs et de leur habitat dans le monde.

Parmi les initiatives proposées : protéger les dugongs au lieu de les chasser, prendre soin du corail et des mangroves, continuer à pêcher de façon traditionnelle, trouver des solutions pour mieux gérer les déchets, privilégier l’écotourisme au tourisme de masse, soutenir les missions scientifiques d’étude et de recensement des dugongs…

Autant de bonnes idées, qui impliquent la population locale et qui finiront par porter leurs fruits, on peut l’espérer. Mais rien n’est simple ni facile dans ces îles indonésiennes, où la plupart des gens sont très pauvres. Les gestes pour l’environnement ne sont pas exactement ce qui préoccupe en priorité les familles dans leur vie de tous les jours.

J’ai longtemps hésité à publier cet article, sachant que ce n’est pas forcément une bonne chose d’attirer l’attention sur la présence d’un ou plusieurs dugongs dans la région, même si ce n’est plus vraiment un secret. Une agence de voyage locale propose même des excursions comme celle que nous avons faite. Mais je me dis aussi qu’il est important de sensibiliser les visiteurs, afin que l’observation se fasse dans les conditions les plus respectueuses possibles pour l’animal. L’éco-tourisme peut sûrement contribuer à sauver les dugongs.

“Notre” dugong était manifestement en rut quand nous l’avons observé. A-t-il une partenaire et une descendance ? Je n’ai pas réussi à le savoir. J’espère en tout cas que Pak Oneh et les autres personnes impliquées dans le programme local de conservation continueront à veiller sur lui et qu’on le verra un jour se balader en famille dans les eaux d’Alor…

Mise à jour, janvier 2022. J’ajoute ci-dessous une autre vidéo, plus récente, tournée par un couple de plongeurs passionnés, expatriés en Indonésie, la Française martiniquaise Céline Monfort et le Néerlandais Niels Prinssen (voir leur chaîne sur YouTube et leur site internet Travel2Sea), qui ont vécu la même expérience que Steven et moi, lors de leur passage à Alor en octobre 2020. Je constate que le dugong est pareillement exhibitionniste avec eux… 😂

  Indonésie : Alor + Halmahera + Sumbawa - juillet 2018

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