Indonésie : Sulawesi - juillet 2010
Batutumonga. Ce nom étrange et beau est synonyme, pour moi, d’une fantastique virée à scooter au cœur du pays Toraja, dans le centre de Sulawesi. Rizières sublimes… mais routes pourries ! J’ai bien failli rester dormir dans les montagnes, à cause d’un pneu crevé.
Les rizières de Batutumonga
La région de Batutumonga est une zone montagneuse couverte de rizières en paliers. À chaque lacet de la route s’offre un nouveau panorama renversant. S’il y a un coin à ne pas rater, dans le Pays Toraja, c’est bien celui-là !
Lors de mon précédent séjour à Sulawesi, il y a trois ans, je m’étais déjà offert la balade. J’ai voulu la refaire, en juillet dernier.
Facile. Dans mon sac, avant d’enfourcher la moto de location, je glisse des cartes de la région, récupérées de mon précédent voyage.
Enfin… « cartes », c’est un bien grand mot : de simples feuilles A4 photocopiées et distribuées aux touristes. Entre un trait continu et un trait pointillé, difficile de savoir quel chemin est réellement praticable pour un deux-roues.
Ces grosses roches noires qui jonchent les rizières sont parfois percées de tombes. (Pays Toraja, Sulawesi, Indonésie, juillet 2010)
Les buffles ont des cornes très impressionnantes. (Pays Toraja, Sulawesi, Indonésie, juillet 2010)

Sur la route devant l'église, le riz a été mis à sécher, étalé sur des bâches. (Pays Toraja, Sulawesi, Indonésie, juillet 2010)
Assis devant l'église, un homme et une femme âgée, que je suppose être sa mère. (Pays Toraja, Sulawesi, Indonésie, juillet 2010)


Le trait de stylo-bille
Du coup, je me rencarde auprès de mon loueur de motos : c’est lequel, le meilleur chemin pour faire une boucle et revenir à Rantepao sans galérer ? Il y a trois ans, la route du retour avait été ardue. Pas envie de refaire ce long et tortueux trajet par des chemins défoncés.
Sur une des cartes que je lui tends, il m’indique la « bonne » route d’un trait bleu de stylo-bille. Il me griffonne aussi le nom d’un village, si je dois demander mon chemin. Du bout du doigt, il me montre également les pointillés de la « mauvaise » route… Very bad road, qu’il dit.
Parfait. Merci beaucoup, terima kasih baniak…

Le riz est mis à sécher le long de la route. (Pays Toraja, Sulawesi, Indonésie, juillet 2010)
Les enfants jouent à l'ombre des immenses toits "tongkonan" des greniers à riz et des habitations, typiques ud pays Toraja. (Pays Toraja, Sulawesi, Indonésie, juillet 2010)

La bonne route
Je m’élance sur la route de Bori. Une petite route bitumée, avec quelques nids de poules et des bâches étalées où le riz sèche au soleil. Une jolie route pittoresque, empruntée la veille pour aller à la cérémonie funéraire. D’ailleurs, la fête se poursuit à Bori. Sur place, on continue à dépecer les buffles.
Cette fois-ci, je traverse le village sans m’arrêter et poursuit en direction du nord. De temps en temps, je fais halte, pour photographier les travaux des champs.

Ça grimpe peu à peu. Mais la route est toujours une vraie route. C’est la bonne route, pas de souci. D’ailleurs, je reconnais tout.
Je retrouve ce point de vue fabuleux, où tout le monde s’arrête pour la photo-souvenir, où le regard porte loin loin sur les rizières étagées et les villages minuscules, avec leurs gracieux toits tongkonan incurvés. Je fais encore halte, un peu plus loin, dans une cette si jolie vallée, que je suis tellement contente de revoir… Des rizières, encore, semées de gros rochers noirs et ronds enchassés dans le vert tendre des cultures. Superbe !



Séance photo-souvenir obligatoire avec les "amis" rencontrés sur la route... (Pays Toraja, Sulawesi, Indonésie, juillet 2010)
C'est LE paysage où prendre en photo son ou sa dulcinée... (Pays Toraja, Sulawesi, Indonésie, juillet 2010)
Je déjeune là-haut, à Batutumonga même, au resto panoramique où atterrissent tous les touristes. La balade est un classique des circuits autour de Rantepao. Mais on n’est pas nombreux dans l’immense salle. Un jeune couple venu à scooter, comme moi. Et deux autres jeunes gens avec un guide local.
La mauvaise route
Maintenant, j’ai encore le choix : rentrer par où je suis venue. Ou retourner à Rantepao en suivant le trait bleu du stylo-bille.
Forcément, c’est la deuxième option qui me tente. Forcément, à filer le nez au vent, de village en village, à m’arrêter un peu partout pour de nouvelles photos, à repartir sans trop calculer les distances, je rate l’embranchement où j’aurais dû tourner.
Je vois bien que la route est de moins en moins une route et de plus en plus pleine de caillasse, de trous, de flaques boueuses. Je vois bien le gros nuage gris dans mon dos, qui enfle et se rapproche. Je reconnais même très bien deux-trois villages et tous ces paysages qui m’avaient subjuguée, trois ans plus tôt, sur cette route pourrie que je m’étais jurée de ne pas reprendre.



L’averse
Quand je vois surgir une nouvelle poignée de maisons, je me décide enfin à demander mon chemin à une jeune fille, qui rentre précipitamment du linge.
Elle me désigne d’un air vague la direction dans laquelle je vais. Elle parle très mal anglais et mon maigre bahasa n’est pas suffisant. Évidemment, j’ai laissé à la guesthouse mon petit livre de conversation.
D’un coup, il fait sombre et il se met à pleuvoir dru. Elle m’invite à venir m’abriter sous la véranda. Me fait signe de pousser ma moto sous l’avant-toit. C’est le déluge.
Une dame toute souriante, que je suppose être sa mère, a déjà sorti une chaise, m’invite à m’asseoir. Kopi ? Ma foi, un petit café, ça n’est pas de refus, vu ce qui tombe… Autant attendre que ça passe.
Dans l’embrasure de la porte, de jeunes enfants, deux petits garçons et deux petites filles viennent m’observer, un peu intimidés. Dès que je les regarde, il se réfugient à l’intérieur en gloussant de rire.


Ma nouvelle amie, Omi
La jeune fille s’appelle Omi. Un ange. J’ai cru pouvoir repartir, après le kopi, le court récit de ma vie de touriste en trois mots de bahasa, les photos avec ses nièces et son frère, la promesse de devenir son amie sur Facebook…
J’ai fait 20 mètres sur la moto, avec mon poncho de pluie. Et demi-tour aussitôt. Le pneu arrière était complètement à plat.
Après inspection du pneu, le frère d’Omi secoue la tête. Elle se tourne vers moi, me parle, je saisis quelques mots : tinggal, tidur, di sini… Rester, dormir, ici. Évidemment, je n’ai pas pris le numéro de téléphone de mon loueur. Évidemment, le téléphone de ma guesthouse ne répond pas.
Pas possible. Je dois prendre mon ticket de bus à Rantepao dans la soirée, si je veux pouvoir rentrer à Makassar à temps pour mon vol-retour dans le Nord, à Manado. Je veux réparer.



Omi reprend ma moto, me fait asseoir derrière elle, et nous pilote, dans la caillasse et les trous, malgré le pneu crevé, à vitesse réduite, jusqu’au semblant de bourg devant lequel j’étais passée, quelques kilomètres plus tôt. Pour rien.
Tutup ! Closed ! Le réparateur du coin est fermé.
Elle est dépitée. Et transie.
Rentrer
Omi me ramène chez elle. Il pleut à nouveau un peu. Toute frissonnante, elle stationne la moto devant la maison. Sa mère guette un hypothétique ojek, un gars qui fait le taxi à moto, qui pourrait me ramener à Rantepao. Forcément, les rares qui passent sont déjà pris.
L’heure tourne. Presque 5 h de l’après-midi. Il me reste grosso-modo deux heures de jour. La nuit tombe tôt ici. Autant je me sais capable de rouler à vitesse lente sur une route pourrie, autant je ne me sens pas de le faire dans l’obscurité.
Alors je me décide. Si je dois bouger, c’est maintenant. J’ai vu qu’on pouvait rouler, quand même, avec ce pneu arrière crevé. Pas vite, mais ça avance.
J’essaie d’estimer le temps nécessaire pour arriver à Rantepao. Omi ne sait pas trop, une heure, peut-être deux, peut-être plus… En Indonésie, le temps est élastique, toujours.
Pelan, pelan ! me disent-ils quand finalement je repars, avec mon poncho de pluie et mon pneu à plat. Lentement, oui, oui. Ça, oui…

Rantepao
Deux heures. Il m’a fallu un peu plus de deux heures pour rejoindre les abords de la ville. Je suis arrivée à la boutique du loueur, à Rantepao, sous une pluie battante. Le dos et les bras raides, les fesses en compote. J’ai troqué ma moto déglinguée contre un scooter flambant neuf.
Là-haut, dans les montagnes, j’ai vécu de grands moments de solitude, sous l’averse, face à d’immenses mares gadouilleuses, pour déterminer par où passer : à droite, à gauche, au milieu ? Je les ai toutes franchies, sans dérapage malencontreux, sans chute dans la boue jaune.
J’ai aussi fait rire des tas de villageois, qui remontaient vers les hauteurs, rentrant chez eux. Tous commençaient par me saluer gaiement, un peu étonnés de voir une blanche à capuchon vert égarée sur cette petite route de montagne noyée de brouillard. Tous ensuite, poussaient une exclamation en pointant le doigt vers ma roue.
Ouf !
Stoïque, entêtée, j’ai continué, vaille que vaille, à allure ultra lente. En me faisant confirmer le chemin, à chaque embranchement. Quel soulagement, quand je suis retombée, enfin, sur une vraie bonne route en dur pas trop défoncée, qui descendait en lacets vers la plaine !
Ça m’a fait une bonne histoire à raconter le soir à Laurence et Éric, un couple de Lyonnais installés dans la même guesthouse que moi, avec leur fils Maxence.
Eux aussi avaient loué des scooters dans la journée et eux aussi avaient crevé ! Plus chanceux que moi, ils avaient déniché sans mal un petit réparateur à proximité, qui leur a remis la roue en état… Mon histoire a aussi bien fait marrer Sebastian, le Norvégien avec qui j’avais sympathisé dans le bus, quand il est rentré le lendemain de son trek dans les rizières.
Moi, la marche, ça n’est pas trop mon truc… J’aime mieux me balader sur ces petites motos, l’équivalent de nos scooters, avec lesquelles tout le monde se déplace, en Asie. Pour l’indépendance, la liberté que ça procure. Et puis, avec ça on passe partout. Même avec un pneu crevé.

😄