Égypte : Mer Rouge - octobre 2016
Qu’ils sont beaux, les requins longimanes ! J’ai adoré les observer et les photographier en mer Rouge. Mais j’avoue, ils font aussi un peu peur…
Fascinant face-à-face avec les requins
Requins-baleines, requins-marteaux, requins pointe noire et pointe blanche, requins gris de récif, requins soyeux, requins-nourrices, requins-renards, requins marcheurs, requins-tapis barbus… Ce n’est pas la première fois que j’ai la chance de pouvoir observer, photographier ou filmer des requins en plongée.
➜ Voir ici : tous mes posts avec des requins dedans !
Mais les requins longimanes, aussi appelés aussi requins océaniques (Carcharhinus longimanus, de leur nom scientifique), c’est de l’inédit pour moi !
Je vous livre ci-dessous une courte vidéo de 30 secondes, faite en mer Rouge en octobre 2016, lors d’une croisière à bord de l’Exocet, par un de mes camarades de plongée, Doniphane Lachat. On y voit un longimane venir à ma rencontre, pas vraiment effarouché par ma petite personne…
Le longimane peut mesurer 2 à 3 mètres de long. C’est un requin magnifique ! Je le trouve très beau, très photogénique, presque élégant avec ses longs ailerons (d’où son nom de requin longimane ou “longue main”) au bout blanc arrondi et sa fidèle cohorte de petits poissons pilotes.
Quelle allure ! Et le regarder nager est absolument fascinant.
Voici la série des trois photos que j’ai prises, durant ce petit face-à-face qu’on voit dans la vidéo :
Brothers Islands, les deux frères
Je sors de l’eau avec des étoiles plein les yeux, après ma toute première rencontre avec un longimane. Et j’en verrai d’autres lors des plongées suivantes ! C’était aux Brothers, les “Frères”, deux îlots arides et isolés en mer Rouge, dans les eaux égyptiennes.
Big Brother et Small Brother sont des spots de plongée renommés et la zone est un parc marin protégé. Quand la houle n’est pas trop défavorable, on peut aussi y explorer deux épaves.




Les îles Brothers sont situées très au large des côtes, leurs tombants sont exposés aux courants et descendent à plusieurs centaines de mètres de profondeur, si bien que l’on peut y croiser une faune dite pélagique (qui vit en haute mer et ne s’approche normalement pas des côtes) en plus de la petite faune habituelle des récifs.
Outre les longimanes, j’y ai vu un énorme thon et des barracudas. Plusieurs de mes compagnons de plongée ont réussi à observer un requin renard et des requins marteaux. Quant au corail, il m’a semblé globalement moins spectaculaire qu’en Indonésie, mais certaines parties du récif sont splendides.
Pour un petit topo plus détaillé sur les Brothers et les conditions de plongée, je vous renvoie sur cette page du site de DAN :
➜ AlertDiver – Plongée culte : Îles Brothers, mer Rouge


Mal de mer
Un “détail” qui m’a fait apprécier d’être sur l’immense et confortable Exocet : la traversée jusqu’aux Brothers dure de longues heures et n’est pas exactement une tranquille balade en mer, du moins lors de mon passage en octobre. La houle et les vagues peuvent être fortes. Plusieurs d’entre nous ont été malades et moi qui ne me croyais pas sujette au mal de mer, j’avoue ne pas avoir été bien vaillante à l’aller…
Au retour, ça a été beaucoup mieux : je n’ai pas fait la dure à cuire, j’ai opté pour le cachet contre le mal de mer. Efficace !

Une sale réputation
Même chez les plongeurs et les amoureux des océans, le longimane a la réputation d’être un requin dont il faut se méfier.
“Cette espèce-là a un peu le comportement d’un chien, nous explique le photographe subaquatique Phil Simha, organisateur de la croisière, la veille de nos immersions aux Brothers. Le longimane est curieux, opportuniste, il vient rôder sous les bateaux, et tout ce qui s’agite en surface l’attire. Sous l’eau il n’a pas peur d’approcher des plongeurs, de venir parfois au contact…”

Bref, là où la plupart des autres requins que j’ai déjà pu rencontrer en plongée préfèrent garder leurs distances quand ils croisent des palanquées avec des panaches de bulles, le longimane, lui, sera bien au contraire intrigué, attiré, et viendra volontiers voir de plus près ce qui se passe…
Voir aussi ➜ La fiche Wikipédia du longimane
Sur le blog Sharkuterie ➜ La réputation du longimanus est-elle justifiée ? [post de 2006]
Mise à jour 2017. J’ai à nouveau croisé la route des requins longimanes, en retournant plonger en mer Rouge en novembre 2017, toujours à bord de l’Exocet, un an après la croisière-plongée dont je parle ici. Je vous invite à visionner ci-dessous la vidéo que j’ai faite, où il m’a été donné de voir de très près un longimane très (trop) curieux :
J’ai beau le trouver magnifique, la sinistre réputation du longimane n’est pas vraiment usurpée. Ces dernières années, en mer Rouge, il y a eu des attaques mortelles (une en 2009, plusieurs en 2010 et une en 2015, notamment). Chaque fois, des morsures infligées par dessous ou par l’arrière, à des personnes nageant en surface, baigneurs ou en palmes-masque-tuba. Mais jamais sur des plongeurs-bouteille immergés, à ma connaissance.
Mise à jour 2018. Il y a malheureusement eu aux Brothers deux cas de morsures sur des plongeurs bouteille en 2018, l’un à la cuisse, l’autre au mollet. J’en profite pour rajouter ci-dessous la fiche pédagogique conçue par Steven Surina de Shark Education, sur la bonne attitude à adopter quand on est en présence d’un requin sous l’eau :
Des consignes très strictes
Sur le bateau, nous sommes donc sérieusement briefés avant nos plongées aux Brothers, territoire des fascinants et inquiétants longimanes…
Interdiction pour les apnéistes de se mettre à l’eau et pour tous interdiction absolue d’aller barboter dans la mer. Pour observer les requins, seule la plongée-bouteille est permise, avec quelques précautions : on évite de traîner en surface au moment de l’immersion comme de la remontée, on reste groupés sous l’eau, en particulier quand on est sous les bateaux où les requins aiment bien traîner, et, à la fin de la plongée, on ne refait pas surface tous ensemble mais l’un après l’autre.
On est bien sûr prié de ne pas perdre son binôme, de rester calme sous l’eau et de penser à surveiller le bleu dans les différentes directions…
Dérive dans le bleu
Mais lors d’une de nos plongées à Small Brother, ma binôme Françoise a la malchance de perdre son appareil photo, au moment de la mise à l’eau depuis la poupe de l’Exocet. Il y a pas mal de houle, je viens de descendre à quelques mètres pour l’attendre et, déjà un peu déportée par le courant, j’assiste à la scène sous la surface, impuissante.
Je suis un peu trop loin pour foncer et tenter de récupérer l’appareil, que je ne peux que regarder couler… 😱 Le longimane qui rode près du bateau et que je surveille du coin de l’œil est plus vif que moi. Mais il se désintéresse aussitôt de cet objet non-comestible, qui poursuit sa course vers les profondeurs… Il y a une centaine de mètres de fond là où nous sommes amarrés, hélas, ce qui rend tout projet de récupération impossible.

Atrocement frustrée, terriblement dépitée, Françoise tient quand même à faire la plongée et me rejoint, avec de grands yeux tristes derrière son masque. 😢 Je compatis de tout cœur et vérifie à nouveau que mon propre appareil est bien sécurisé, attaché à mon gilet stabilisateur…
Nous restons à faible profondeur, entre 10 et 5 mètres, captivées par le spectacle de ce longimane qui nous tourne autour. Résultat, nous dérivons, et quand nous nous remettons à palmer, il est déjà trop tard : nous nous éloignons du récif de l’île, vers lequel nous étions censées nous diriger. Au bout de quelques minutes, nous tombons dans le bleu sur une palanquée de plusieurs autres plongeurs de l’Exocet. Un peu perdus eux aussi, dirait-on. Comme nous, ils se sont fait surprendre par le courant de surface…
Mais ce sont deux longimanes qui nous tournent autour à présent ! Et ils passent tout près. Quelle chance ! J’avais été un peu déçue des plongées à Big Brother, où pas un requin n’avait daigné croiser ma route. Mais Small Brother me comble ! Les longimanes sont là et bien là. Et ce ne sont pas des modèles timides… 😮

Nous sommes plusieurs photographes dans le groupe et tout le monde est bien content, je crois, de pouvoir faire des images… Mais bon, cela fait quand même un petit moment qu’on dérive sans trop savoir où on est. Mieux vaut se signaler sans plus tarder en surface au semi-rigide et remonter. Cette plongée n’aura duré que 20-30 minutes au lieu des 50-60 habituelles… Mais quelles minutes intenses !
L’un d’entre nous déploie son parachute (pour les non-plongeurs : c’est une bouée en forme de saucisse, qu’on remplit d’air sous l’eau et qu’on laisse fuser vers la surface, pour que le boatman nous repère et sache où venir nous récupérer). Le Zodiac apparaît aussitôt. Françoise est la première à remonter. Un à un, nous nous hissons à bord de l’annexe, sans encombre, pendant que ceux qui patientent sous l’eau surveillent les requins qui passent et repassent.
Forcément, on a tous une pensée émue pour le dernier de la palanquée à remonter : seul sous le parachute, il a vécu un petit moment de solitude avec les longimanes… Riche en émotions, cette plongée ! Je ne suis pas près de l’oublier.

Surpêche et soupe d’ailerons
Je reviens émerveillée de cette croisière en mer Rouge grâce aux longimanes. Mais comme de nombreux autres squales, l’espèce est victime de la surpêche : ses immenses ailerons sont très convoités pour le marché asiatique, où ils finissent en soupe au restaurant ou en remède prétendument médicinal ou aphrodisiaque…

Comme le longimane suit volontiers les bateaux, les cétacés et les bancs de poissons pélagiques par opportunisme, il finit aussi souvent dans les prises dites accidentelles…
Répandu dans toutes les mers tropicales du globe, c’était autrefois un des requins les plus abondants. Aujourd’hui, c’est l’un des plus menacés. Les mesures de conservation et les réglementations mises en place réussiront-elles à inverser la tendance ? Le longimane figure sur la liste rouge mondiale de l’UICN (l’Union internationale pour la Conservation de la nature) et, en 2013, il a été ajouté à l’annexe II de la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction).
Je mesure la chance qui est la mienne, en tant que simple touriste plongeuse, d’avoir pu observer dans leur milieu naturel ces magnifiques requins. Dans dix ou vingt ans, si le shark-finning (la pêche aux ailerons) se poursuit au même rythme qu’aujourd’hui, il ne restera plus rien à observer sous la mer…
🙄