Épave Amoco Cadiz
© Nicolas Job / Heos Marine

Souvenirs d’une plongée sur l’épave de l’Amoco Cadiz

  Entre deux voyages

En 2003, j’ai plongé sur l’Amoco Cadiz, en Bretagne. À l’époque Facebook et Twitter n’existaient pas… Mon reportage avait été publié uniquement sur papier, en dernière page du journal Ouest-France.

Amer anniversaire

Ce 16 mars 2018, c’est le 40e anniversaire du désastreux naufrage de l’Amoco Cadiz, pétrolier qui avait causé une gigantesque marée noire sur les côtes bretonnes en 1978.

Le 16 mars 1978, le naufrage du supertanker libérien Amoco Cadiz a causé en Bretagne ce qu'on a appelé "la marée noire" du siècle. (Carte : Ouest-France)
Le 16 mars 1978, le naufrage du supertanker libérien Amoco Cadiz a causé en Bretagne ce qu’on a appelé “la marée noire du siècle”. (Carte : Ouest-France)

Ce triste anniversaire m’a donné envie de retrouver cet article que j’avais écrit dans Ouest-France, il y a quinze ans (déjà !), racontant ma découverte, par 30 mètres de fond, de l’épave du supertanker. Une épave de sinistre mémoire, devenue, depuis, un site de plongée mythique. J’ai donc farfouillé dans les archives du journal et remis la main sur mon texte de 2003, que j’avais accompagné d’une courte interview du caméraman et photographe sous-marin Yves Gladu.

À l’époque, je ne faisais pas encore de photo sous-marine. J’utilise ici pour illustrer ce post de blog, avec son autorisation, une image de Nicolas Job d’Heos Marine, dont l’édition du soir numérique d’Ouest-France a publié une série de photos que je vous invite à découvrir via le lien ci-dessous :
→ L’épave de l’Amoco Cadiz en 10 images fascinantes

Pour les mordus de ferraille, Nicolas Job est aussi l’auteur d’un livre sur les épaves de Bretagne, de Brest à Saint-Malo :

Livre : 65 épaves en Bretagne

Mon reportage d’il y a quinze ans sur l’Amoco Cadiz (quand j’étais jeune et courageuse et que je plongeais encore en combinaison humide dans les froides eaux bretonnes 😄) avait, lui, été publié le 19 août 2003. Le temps a passé depuis, et l’Aber-Benoît, le club avec lequel j’avais plongé n’existe plus. Mais il y a aujourd’hui d’autres clubs locaux en activité (comme Aber-Wrach Plongée, Koréjou Plongée, Madeo Plongée) qui organisent régulièrement des sorties sur l’épave.

Cette plongée très particulière m’avait beaucoup impressionnée. Je republie ci-dessous mon récit de 2003, exhumé des archives du journal Ouest-France.

Fascinante plongée sur l’épave de l’Amoco Cadiz

Du pétrolier qui s’éventra le 16 mars 1978, au large de Portsall, dans le Finistère, provoquant la marée noire du siècle, il ne reste plus qu’une immense carcasse disloquée, gisant par 30 mètres de fond. Les clubs de plongée locaux, comme celui de l’Aber-Benoît, à Saint-Pabu, organisent des sorties encadrées sur cette épave mythique. Notre reporter a vécu l’expérience.
[ARCHIVE OUEST-FRANCE / 19 AOÛT 2003]

Épave Amoco Cadiz
Plongée sur l’épave de l’Amoco Cadiz. (Photo : Nicolas Job / Heos Marine)

9 h. Préparatifs

Quai du Stellach, à Saint-Pabu (Finistère-nord). Devant le local du club de plongée de l’Aber-Benoît, une quinzaine de personnes en combinaisons noires s’affairent autour des bouteilles d’air, des gilets stabilisateurs et des détendeurs. Christophe Lecoq et François Leroy, les responsables du club, nous font signe…

9 h 30. Briefing

Explorer une épave est déjà une aventure peu banale, même pour les passionnés de plongée sous- marine. Et l’Amoco Cadiz est vraiment une épave à part. « Le pétrolier mesurait 330 mètres de long : c’est la plus grosse épave du monde, déclare Christophe en dessinant au tableau un schéma du supertanker englouti. Nous allons descendre sur la poupe. C’est tout ce qu’il reste du navire. Le reste a été pétardé et les débris sont dispersés sur le fond, sur plusieurs centaines de mètres. »

« L’épave repose sur un banc de sable à 30-32 mètres de profondeur. La partie la plus élevée est à 7-8 mètres de la surface, dit-il en désignant le haut de la poupe, fichée de travers dans le sable. Il y a déjà beaucoup à voir à cet endroit, alors évitez de vous éloigner sur la partie éclatée de l’épave. On a vite fait de se perdre parmi les laminaires. » Il rappelle la principale difficulté de cette plongée : la houle et les courants, très forts à cet endroit.

10 h. On embarque

Deux gros Zodiacs nous attendent. L’épave, il y a ceux « qui l’ont déjà faite » et les autres… Marc, un instructeur du club, se rappelle sa « première fois » sur l’Amoco : « J’ai éprouvé une sensation assez oppressante. Je ne sais pas si c’est à cause de l’histoire tragique de ce navire, ou parce que je n’étais pas très bien ce jour-là… Peut-être un peu les deux. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est vraiment pas une plongée comme les autres. L’ambiance est unique, un peu magique. » Pas d’angoisse visible, en tout cas, chez ceux qui ne l’ont encore jamais « faite ». Des regards rêveurs, plutôt, tournés vers l’horizon.

« Ce pétrolier, dit Christophe qui tient la barre, il a fait beaucoup de mal à la région, il y a vingt-cinq ans. Aujourd’hui, c’est devenu une épave mythique, une destination qui attire les passionnés de plongée sous-marine. Finalement, il y a au moins ça de positif dans cette histoire. » Une quinzaine de minutes après avoir quitté Saint-Pabu, nous sommes sur le site.

10 h 30. On plonge !

Tout le monde a fini de s’équiper : palmes, ceinture de plomb, gilet stabilisateur et bouteille, cagoule, masque, détendeur en bouche. Eh hop ! Bascule arrière pour la mise à l’eau. « Rendez-vous à l’amarre, on descendra le long du bout. »

Il faut palmer, dur, il y a du courant. Les plus impatients mettent déjà la tête dans l’eau, pour essayer d’apercevoir quelque chose. Pas évident. Les plongeurs s’enfoncent, les uns derrière les autres, se tenant d’une main à l’amarre. Sous l’eau, la houle s’atténue.

10 h 35. Arrivée sur l’épave

Quelques mètres plus bas, dans le brouillard verdâtre de l’eau, surgit une masse sombre, gigantesque, au sommet de laquelle dansent des laminaires, ces longues algues brunes qui ressemblent à des rubans. Nous sommes sur le pont arrière. La coque forme à cet endroit un tombant vertigineux. Les bulles des premiers plongeurs, descendus plus bas voir le safran enfoui dans le sable, remontent le long de cette muraille de rouille, l’habillent de perles vif-argent. Spectacle féerique.

Annette, l’instructrice, nous fait signe de la suivre, côté pont : devant un énorme cylindre, où l’on distingue encore des câbles enroulés, corrodés par l’eau de mer, elle fait un geste de manivelle. Un treuil ! Nous continuons la descente, reconnaissant en chemin un bout de bastingage, des bollards (bittes d’amarrage)… Sensation étrange d’être dans un film fantastique, de flotter au-dessus d’un vaisseau fantôme.

Encore plus bas, d’autres vestiges moins identifiables, aux formes étranges, torturées. Là, un trou laisse voir la fracture d’un double plancher d’acier, brisé, malgré son épaisseur. Surprenant, le sable, très blanc, sur lequel se détachent nettement d’autres débris : cuves, tuyaux, bouts de ferraille tordus…

Nous remontons à lents coups de palmes, dévorant des yeux chaque détail, tâtant la ferraille qui s’effrite et laisse des écailles de rouille sur le bout des doigts. Nous nous arrêtons un instant devant un trou d’homme, à l’intérieur duquel les barreaux d’une échelle disparaissent dans l’obscurité, s’enfonçant dans les entrailles du monstre. Mais Annette pointe le pouce vers la surface. Il est temps de remonter.

11 h. Retour à la surface

Les exclamations fusent. « Fantastique ! » « Incroyable ! » « Énorme ! » « Et le safran ! Vous avez vu le safran ? » Et puis, une fois le matériel rangé, les premières impressions échangées, chacun retombe dans le silence. Savourant cette plongée si belle. Cap sur Saint-Pabu. Le Zodiac file, heurtant durement la mer, sans égard pour les plongeurs transis et fatigués, dont les yeux, pourtant, brillent encore de bonheur.

Corinne BOURBEILLON.

Les conseils d’un plongeur chevronné

Yves Gladu, caméraman et photographe sous-marin indépendant, vit à Brest. Il connaît bien l’épave de l’Amoco Cadiz, sur laquelle il a plongé près d’une centaine de fois, de 1978, l’année du naufrage, à aujourd’hui.

Pourquoi l’épave a-t-elle été interdite aux plongeurs pendant vingt ans, jusqu’en 1998 ?
L’épave avait été pétardée, pour permettre d’évacuer le pétrole des soutes. Et l’une des grenades envoyées n’avait pas, semble-t-il, explosé. Le site a donc été interdit aux plongeurs amateurs par sécurité. Et puis, il y avait aussi un procès en cours. Apparemment, la grenade a soit explosé avec une autre, soit été emportée par le courant. L’interdiction a donc été levée.

L’épave a-t-elle beaucoup changé depuis le naufrage ?
Énormément, à cause des courants, très violents. L’étrave, par exemple, a disparu, depuis vingt ans, et on ne sait pas très bien où elle est. Elle a dérivé, sans doute, avec le courant. L’épave s’est aussi un peu retournée sur elle-même, et on ne voit plus l’hélice, qu’on apercevait avant. Le safran, lui, s’est assez rapidement enfoncé dans le sable, dont il ne dépasse plus que de deux mètres. L’endroit est très exposé à la houle de nord-ouest, et moi-même j’ai été très surpris de voir comment un bâtiment comme ça a pu se dégrader si vite, rien qu’avec la force de la mer. Dès les premiers mois, les parties les plus élevées ont été détruites.

Quel conseil donneriez-vous aux amateurs de plongée qui souhaiteraient se rendre sur l’Amoco Cadiz ?
Déjà, avoir au minimum le brevet de plongeur niveau 2. Ensuite, toujours y aller avec l’un des clubs de plongée locaux. Les gens qui les dirigent connaissent parfaitement le site, ainsi que les conditions climatiques et maritimes requises pour plonger en toute sécurité.

Recueilli par C.B.

Et aussi…

À voir (et revoir), le docu Les enfants de l’Amoco, réalisé par Olivier Chasle, pour l’émission Littoral sur France 3, diffusée le 11 mars 2018 :

→ Plongées sur des épaves : voir tous mes articles

  Entre deux voyages

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