Dans l'eau chargée de plancton, un requin-baleine surgit... (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)
Dans l'eau chargée de plancton, un requin-baleine surgit... (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)

Les requins-baleines de Sogod Bay

#Philippines #Leyte

  Philippines : Sogod Bay [Leyte] + Moalboal [Cebu] + Pangatalan [Palawan] - mars 2020

Je vous ramène à Sogod Bay, surnommée « la baie des requins-baleines », dans le sud de l’île de Leyte, aux Philippines… Lors de mon premier voyage là-bas en 2008, je les avais ratés. Douze ans plus tard, j’ai eu plus de chance !

Le plus gros poisson du monde

Prononcez le mot “requin-baleine” (ou whale shark en anglais) au milieu d’une assemblée de plongeurs et vous verrez aussitôt leurs yeux briller. Forcément, c’est le plus gros poisson du monde. Et le plus inoffensif des grands requins. De quoi émoustiller les humains palmés…

En plus, l’animal est stylé, avec ses tatouages blancs géométriques sur son immense corps fuselé. Vraiment, à mes yeux, c’est le plus beau et le plus sympa de tous les requins !

😍

Les motifs géométriques du requin-baleine, vus du dessus, dans une eau chargée de plancton. (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)
Les motifs géométriques du requin-baleine, vus du dessus, dans une eau chargée de plancton. (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)

À l’âge adulte, le requin-baleine peut dépasser les 10-12 mètres. Et même atteindre 18-20 mètres pour les plus grands ! Autre similitude avec la baleine, ce squale a une énorme gueule sans dents – enfin, c’est tout comme, ses dents ne font que quelques millimètres. Il n’est pas équipé pour mordre, c’est vraiment un monstre gentil.

Pour se nourrir, il filtre l’eau de mer en ouvrant grand la bouche, engloutissant plancton, petits poissons et minuscules crustacés. Je vous laisse imaginer la quantité de protéines dont a besoin une si grosse bête…

Je m’étais déjà bien répandue sur le sujet, lors de deux précédents voyages-plongée marqués par des rencontres avec ce bon gros géant des mers : aux Philippines en 2018, et au Mexique en 2014.

Quand on aime, on ne compte pas. Impossible de devenir blasée du requin-baleine… Je suis donc vraiment ravie d’avoir pu ajouter un nouvel épisode à la série. C’était début 2020, aux Philippines, juste avant la crise sanitaire…

😉

Retour à Sogod Bay, la baie des requins-baleines

Le requin-baleine, Rhincodon typus de son nom scientifique, est protégé depuis 1998 aux Philippines. Il faut garder en tête que c’est une espèce rare et menacée. En 2016, elle est passée du statut de “vulnérable” à “en danger” sur la liste rouge de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature).

Aux Philippines, on lui donne le nom de butanding, tiki-tiki, tuki ou tawiki selon les régions. Les eaux de l’archipel sont fréquentées par plus de 1 950 spécimens, selon l’Institut de recherche philippin LaMaVe (Large Marine Vertebrates), ce qui en fait l’une des plus grandes populations de requins-baleines connues dans le monde.

Pour espérer voir un requin-baleine, on peut forcer un peu le destin en se rendant à la bonne saison dans des zones qu’il a l’habitude de fréquenter.

La baie de Sogod, au sud de l’île de Leyte, est l’un de ces endroits. Les humains chaussés de palmes ont de bonnes chances d’y observer ces grands squales nager et se nourrir le long de la côte, non loin du petit village de Pintuyan.

Quand ? Entre février et avril. Parfois un peu plus tôt ou un peu plus tard. Les scientifiques de l’Institut LaMaVe disent qu’on peut en apercevoir dès novembre et jusqu’en juin.

Dans l'eau chargée en plancton, les snorkelers (nageurs avec palmes-masque-tuba) découvrent les impressionnants requins-baleines. (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)
Dans l’eau chargée en plancton, les snorkelers (nageurs avec palmes-masque-tuba) découvrent les impressionnants requins-baleines. (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)

Les requins-baleines reviennent chaque année ou presque dans la baie de Sogod. Leurs migrations semblent étroitement liées à la mousson du sud-ouest. Avec un peu de chance, on peut en croiser par hasard sous l’eau, en plongée-bouteille, le long des tombants et récifs coralliens de la baie.

Mais les excursions organisées spécifiquement pour les observer se font en surface en snorkeling (palmes-masque-tuba). Ces “whale shark watching tours” sont habituellement organisés près de la côte sud-ouest de Panaon, cette longue île d’une trentaine de kilomètres, qui forme tout au sud de Leyte la limite orientale de la baie.

Je vous mets ci-dessous une Google Map et la carte des sites de plongée du Peter’s Dive Resort, très bien faite, avec un joli requin-baleine placé non loin de Pintuyan, pour que vous visualisiez la zone.

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La carte des sites de plongée de la baie de Sogod. (Source : Peter’s Dive Resort)

J’étais venue une première fois à Leyte en 2008. Mais les squales m’avaient posé un lapin. Douze ans après, début mars 2020, je suis de retour. Et cette fois-ci, les requins-baleines sont au rendez-vous !

🤗

Je séjourne au Sogod Bay Scuba Resort (SBSR) près de Padre Burgos dans le Sud-Leyte, où j’étais déjà allée douze ans plus tôt. Ce sont eux qui organisent l’excursion de l’autre côté de la baie. La plupart des autres centres de plongée et hôtels des alentours proposent également des whale shark trips. Les plus connus sont le Peter’s Dive Resort, situé juste à côté du SBSR, le Southern Leyte Divers, le Padre Burgos Castle Resort. Pour ne pas avoir à traverser la baie, il y a également quelques hébergements à Pintuyan même, ainsi qu’un resort de plongée ouvert en 2010.

Je suis venue passer ici quelques jours pour faire de la photo sous-marine, bien sûr, mais aussi retrouver mon amie Carol d’Équilibre qui tient le centre Equation à Bohol, et que je n’ai pas vue depuis longtemps. Elle accompagne sur place Charlène et Florian, un jeune couple de Français en vacances aux Philippines.

On s’entend tous les quatre très bien, on forme une bonne palanquée sous l’eau. Mes petits camarades plongeurs et moi-même sommes évidemment très excités quand on apprend que la présence des requins-baleines est confirmée et que le “whale shark trip” prévu aura donc bien lieu, le troisième jour après notre arrivée.

Le jour J, on embarque joyeusement sur la grande banca (ou bangka) du SBSR, bateau philippin traditionnel à balanciers, qui a été aménagé pour les touristes-plongeurs. On a rechargé les batteries des appareils-photo, bien fermé les caissons étanches des caméras. On a hâte !

Cap sur Pintuyan, donc, de l’autre côté de la baie. De Padre Burgos, la traversée prend une quarantaine de minutes.

Sur la grande Banca du SBSR, Carol a déjà chaussé ses palmes. Les appareils photo sont prêts. Il ne manque plus que les requins-baleines... (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)
Sur la grande Banca du SBSR, Carol a déjà chaussé ses palmes. Les appareils photo sont prêts. Il ne manque plus que les requins-baleines… (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)

Briefing avant la mise à l’eau

À Pintuyan, l’approche des requins-baleines est réglementée. Depuis 2009, elle doit se faire en snorkeling (palmes-masque-tuba) comme je disais plus haut, la plongée-bouteille n’est plus permise.

C’est l’association locale de pêcheurs Kasaka qui gère à Pintuyan les activités d’éco-tourisme avec les requins-baleine et l’aire marine protégée de Son-Ok, avec l’agrément des autorités locales. Il y a une petite contribution à verser pour l’accès au site.

Les gens de Kasaka se font aider et conseiller par l’Institut philippin de recherche LaMaVe (Large Marine Vertebrate), qui a une base au village depuis 2013. Cette organisation non-gouvernementale (ONG) se consacre à l’étude et à la protection de la mégafaune marine dans l’archipel, en particulier dans les zones touristiques, et sensibilise les Philippins comme les étrangers à ces problématiques en faisant de la science participative.

Un représentant de Kasaka et une jeune femme, biologiste marine de l’Institut LaMaVe, viennent à bord nous rencontrer avant la mise à l’eau pour un court briefing.

Les règles ? Pas de navigation au moteur à proximité des requins, interdiction de les nourrir, de les toucher, d’utiliser des flashs. Une fois dans l’eau, il faut garder une distance de 3-4 mètres avec eux, ne pas leur barrer la route et éviter tout comportement susceptible de les perturber. La petite infographie (en anglais) ci-dessous résume tout ça.

Les règles à respecter dans l'approche et l'observation des requins-baleines. (Source : Kasaka / Lamave)
Les règles à respecter dans l’approche et l’observation des requins-baleines. (Source : Kasaka / Lamave)

Des humains palmés et des requins géants

Entre-temps, une flottille de mini-bancas s’est amarrée à la poupe de notre bateau, avec un long bout. Ce sont les gars de Kasaka, chargés de superviser les whale shark tours.

Pagaie à la main, ils seront nos guides-accompagnateurs-sentinelles. Certains ont des masques de plongée sur la tête pour pouvoir jeter un œil sous la surface. Leur mission : repérer l’ombre des requins, nous les signaler, veiller à notre sécurité.

Après quelques minutes de navigation pour arriver sur zone, les guides détachent leurs mini-bancas de notre bateau et s’éparpillent sur les flots. Une fois notre moteur coupé, commence l’attente, le temps pour eux de pagayer vers la côte et de repérer les requins-baleines. S’il y en a… Il arrive qu’ils soient ailleurs. Leur présence n’est jamais garantie. Mais nous avons de la chance.

Assez vite, des guides reviennent vers notre bateau et nous invitent à prendre place avec eux dans leurs pirogues à balanciers. En quelques coups de pagaie, ils nous rapprochent de la plage et nous amènent au bon endroit, en se faisant des signes, d’une banca à l’autre. Oui, les grands poissons sont bien là !

C’est le moment de se laisser glisser dans l’eau. Il n’y a plus qu’à palmer et ouvrir grand les yeux…

Une flottille de mini-bancas s'est amarrée à la poupe de notre bateau. Ce sont les guides de l'association Kasaka, qui accompagnent les "whale shark tours" devant le village de Pintuyan. (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)
Une flottille de mini-bancas s’est amarrée à la poupe de notre bateau. Ce sont les guides de l’association Kasaka, qui accompagnent les “whale shark tours” devant le village de Pintuyan. (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)
Dans leurs bancas, les guides de Kasaka gardent un œil sur les touristes à l'eau devant la plage de Pintuyan, et les orientent vers les requins-baleines qui passent et repassent tout près de la surface. (Sogod Bay, Leyte, mars 2020)
Dans leurs bancas, les guides de Kasaka gardent un œil sur les touristes à l’eau devant la plage de Pintuyan, et les orientent vers les requins-baleines qui passent et repassent tout près de la surface. (Sogod Bay, Leyte, mars 2020)
Mon amie Carol en mode "safari photo" sur le flanc tribord d'un requin-baleine. (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)
Mon amie Carol en mode “safari photo” sur le flanc tribord d’un requin-baleine. (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)

Comme j’en avais fait l’expérience en 2014 au Mexique, le snorkeling avec les requins-baleines, c’est du sport… 😅 Rien à voir avec la plongée-bouteille. C’est bien moins confortable et beaucoup plus épuisant. On est ballotté par la houle en surface et il faut palmer dur pour se maintenir au niveau du bestiau qui nage tout près, à quelques mètres de profondeur.

Lui avance paisiblement, d’un lent mouvement latéral de nageoire caudale, la gueule ouverte, gobant tout ce qu’il peut de plancton. Malgré son apparente lenteur, il va vite. Il ne sert à rien de nager frénétiquement pour tenter de le rattraper. Mieux vaut attendre qu’il repasse, lui ou un de ses congénères. Ils sont quelques-uns ce jour-là, à nager dans un sens puis dans l’autre, en boucle, tout près de la côte. Il suffit de patienter en guettant les cris et signes des guides dans leurs bancas.

La gueule ouverte, le requin-baleine avale le plancton en suspension dans l'eau. (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)
La gueule ouverte, le requin-baleine avale le plancton en suspension dans l’eau. (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)
Le requin-baleine est puissant et beaucoup plus rapide que ne le laisse imaginer son lent mouvement de caudale. (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)
Le requin-baleine est puissant et beaucoup plus rapide que ne le laisse imaginer son lent mouvement de caudale. (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)

La beauté et la puissance

Pour faire de l’image, les conditions ne sont pas idéales. La visibilité est très mauvaise, il y a énormément de particules en suspension. On voit le requin surgir au dernier moment dans le brouillard verdâtre de l’eau, mon autofocus patine.

Je parviens tout de même à faire quelques photos et à enregistrer de courtes séquences vidéo un peu tremblantes d’un spécimen qui ne cesse de passer et repasser, indifférent à notre présence. J’en ai fait un petit montage de moins d’une minute que je vous mets ci-dessous.

Les guides, eux, sont bien rodés aux allées et venues des gros poissons. Ils nous invitent régulièrement à remonter avec eux à bord de leurs petites bancas pour nous lâcher à nouveau un peu plus loin, ou bien à nous accrocher à la coque pour souffler un peu. Ils font aussi les bateaux-balais pour récupérer les plus épuisés des petits humains palmés qui n’ont plus assez d’énergie pour nager…

Je me suis un peu éloignée des autres, quand un guide à proximité pointe l’eau devant moi. Je remets la tête sous la surface. L’imposant requin-baleine que j’ai filmé quelques instants plus tôt est de retour. Je repasse en mode turbo au niveau du palmage, pour me maintenir à sa hauteur, sur son flanc tribord, en veillant à garder la distance requise.

Je vois approcher le rectangle massif de la tête, la gueule béante, l’œil minuscule, les fentes frémissantes des branchies et les fidèles rémoras qui se dandinent sous sa pectorale droite. Je contemple, subjuguée, le damier à pois blancs qui défile, l’aileron dorsal, et la nage lente et régulière de l’énorme bête. Quelle beauté, quelle puissance ! Mais déjà il est passé, et j’ai beau palmer, je ne vois plus que le va-et-vient de sa caudale, comme un au-revoir… Et puis il redevient une ombre et disparaît à nouveau dans la brume turquoise.

Dans l'eau chargée de plancton, un requin-baleine surgit... (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)
Dans l’eau chargée de plancton, un requin-baleine surgit… (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)

Je relève la tête hors de l’eau et décide de terminer là ma séance d’observation, sur cette magnifique révérence. Je fais signe à un guide, pour qu’il me récupère dans sa mini-banca et me ramène au bateau du SBSR, qui mouille un peu plus au large.

Notre petite troupe se retrouve à bord. Nous sommes émerveillés et ravis de notre chance – ce n’est pas tous les jours qu’on peut observer de pareils animaux – mais aussi un peu frustrés de la mauvaise visibilité dans l’eau chargée en plancton.

Feeding et surtourisme à Oslob

Pintuyan n’est pas le seul endroit des Philippines où l’on peut nager avec des requins-baleines. À quelque 220 km de là, sur l’île de Cebu, le village de Tan-Awan dans la municipalité d’Oslob est le site le plus connu. Et le plus controversé.

Si on vous propose d’y aller, refusez. Vous allez comprendre pourquoi…

À Oslob, si les requins-baleines ne sont plus pêchés et massacrés comme autrefois, ils sont désormais nourris. C’est ce qu’on appelle le feeding en anglais, le “nourrissage”. Ainsi appâtés, beaucoup de ces squales peu farouches cessent de migrer et restent à l’année sur place.

Habitués à associer présence d’embarcations et nourriture, ils n’hésitent plus à approcher de très près n’importe quel bateau. Certains se font entailler par les hélices. Quant aux coups de palmes et contacts avec les humains barbotant dans l’eau, ils sont quasi systématiques. Une étude publiée en octobre 2020 par les chercheurs de l’Institut LaMaVe a établi que 95 % des requins-baleines d’Oslob présentaient des cicatrices imputables au tourisme.

"Dites non au nourrissage des requins-baleines d'Oslob !" Cette affichette est placardée dans toutes les chambres du resort Dolphin House à Moalboal, sur Cebu, où j'irai passer quelques jours ensuite, après mon séjour à Leyte. (Philippines, mars 2020)
“Dites non au nourrissage des requins-baleines d’Oslob !” Cette affichette est placardée dans toutes les chambres du resort Dolphin House à Moalboal, sur Cebu, où j’irai passer quelques jours ensuite, après mon séjour à Leyte. (Philippines, mars 2020)

Depuis 2012, les requins-baleines à Oslob font l’objet d’une exploitation touristique délirante. Fin 2011, des images de pêcheurs, s’amusant à jeter des poignées de crevettes aux requins pour les attirer et amuser les quelques touristes de l’époque, se sont répandues dans les médias et les réseaux sociaux… Et la foule n’a pas tardé à arriver, l’île de Cebu étant dotée d’un aéroport international, facile d’accès dans l’archipel et bien relié à la capitale Manille.

En six années, la fréquentation touristique annuelle d’Oslob a été multipliée par plus de cinq, passant de 98 000 en 2012 à 508 000 en 2018. Grâce aux gentils squales gloutons, le village de pêcheurs autrefois très pauvre est devenu une station balnéaire prospère. Pour de nombreux habitants, c’est un changement de vie inespéré.

Sur la plage de Tan-Awan, il faut prendre son tour pour barboter quelques minutes avec les requins-baleines… Ci-dessous quelques tweets qui illustrent bien la situation :

La vidéo ci-dessous date de 2019, elle est extraite d’un reportage sur le surtourisme à Oslob de la Deutsche Welle, la télé allemande, adapté pour Twitter par son antenne indonésienne. Même sans comprendre la langue, les images parlent d’elles-mêmes :

Au fil des années, Oslob a ainsi développé un véritable “tourisme de masse des requins-baleines” avec l’aval des autorités. Les règles pour approcher ces grands animaux sauvages sans les déranger n’y sont absolument pas respectées. Leur comportement et leur régime alimentaire en sont perturbés. Autant de dérives désastreuses régulièrement dénoncées par les associations écologistes et par les scientifiques.

De prises de pêche, les requins-baleines sont devenus des bêtes de foire… 😳 Triste paradoxe.

“C’est un véritable chaos à Oslob et la controverse est justifiée”, commente le grand photographe sous-marin américain David Doubilet, dans un article de National Geographic publié en août 2018. Mais en même temps, “les requins sont en vie et ne gisent pas morts, les ailerons arrachés, dans un entrepôt frigorifique quelque part en Asie”, ajoute-t-il.

Je vous mets ci-dessous le lien de cet article de National Geographic (initialement publié en anglais et traduit en français), qui résume bien le paradoxe des requins-baleines d’Oslob, à la fois protégés et exploités :

➜ Comment les requins-baleines sont-ils devenus l’attraction préférée des touristes ?

Fin janvier 2020, l’Institut LaMaVe a décidé de suspendre ses observations scientifiques et ses interventions éducatives à Oslob (et j’imagine que la crise sanitaire n’a ensuite fait qu’entériner cette décision). L’ONG déplore sur son site internet “le manque de changements significatifs et la réticence des acteurs concernés, au niveau local et régional, à abandonner des pratiques non-durables de tourisme et de gestion” des interactions avec les requins-baleines.

Depuis, le coronavirus s’est chargé de tarir le flot de touristes internationaux et philippins à Oslob : le nombre de baigneurs au site de Tan-Awan est passé de plus d’un millier par jour, avant les restrictions sanitaires, à une dizaine seulement début août 2020, lorsque les autorités ont autorisé la reprise des activités.

L’impact du surtourisme et du nourrissage à Oslob a fait l’objet d’une étude chiffrée et documentée par des chercheurs de l’Institut LaMaVe. Menée de 2012 à 2018 , elle a été publiée fin 2020 sur le site Open Science de la Royal Society britannique :

➜ Le communiqué de l’ONG : Long term study reveals no improvement in the impact of the whale shark tourism in Oslob, Philippines over 6 years

➜ L’étude : In-water observations highlight the effects of provisioning on whale shark behaviour at the world’s largest whale shark tourism destination

Observer sans (trop) déranger

Instruits de ces dérives à Oslob, les gens de Pintuyan dans le sud de Leyte ne veulent pas faire les mêmes erreurs. Le village s’efforce de développer un éco-tourisme plus éthique et plus responsable autour des requins-baleines de Sogod Bay. De créer les conditions permettant de les observer sans (trop) les déranger.

Donc pas de nourrissage, ici. Pas de foule avide de selfies-souvenirs devant les gros poissons non plus.

Jeu de lumière dans l'eau chargée de plancton, avec les rayons du soleil venus de la surface. (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)
Jeu de lumière dans l’eau chargée de plancton, avec les rayons du soleil venus de la surface. (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)
Les requins-baleines nagent paisiblement à quelques mètres sous la surface, indifférents aux humains palmés venus les admirer. (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)
Dans la baie de Sogod, les requins-baleines nagent paisiblement à quelques mètres sous la surface. (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)

De fait, la situation relativement isolée de la région, loin des grands aéroports et des spots touristiques, l’a pour l’instant préservée d’un afflux ingérable de visiteurs. Entre mon premier passage en 2008 et mon séjour de 2020 je n’ai pas remarqué de changement d’ambiance flagrant. Le coin me semble être resté plutôt tranquille.

J’ai bon espoir que cela reste ainsi. Avec ses requins-baleines qu’on ne cherche pas à appâter, ses petites aires marines protégées, ses initiatives locales de préservation des récifs coralliens, la baie de Sogod attire principalement des plongeurs patients et contemplatifs, des visiteurs amoureux de la nature, des voyageurs en quête d’authenticité et de simplicité. A priori tous conscients et un peu soucieux de l’impact potentiel de leurs activités sur l’environnement.

En matière de “tourisme des requins-baleines”, Sogod Bay semble pour l’instant avoir trouvé un équilibre entre retombées positives pour la population locale et préservation des gros poissons. En février 2020, l’Institut de recherche LaMaVe a mis à jour sur son site un bilan de ses principales observations dans le Sud-Leyte, mêlant science, tourisme et social :

  • 330 spécimens différents ont été répertoriés dans la baie de Sogod
  • ce sont majoritairement des mâles juvéniles
  • un spécimen identifié à Sogod Bay l’a aussi été à Taïwan, à 1 600 km de distance
  • le suivi par satellite révèle que les requins-baleines de la baie de Sogod fréquentent plusieurs autres habitats-clés en mer de Bohol
  • le modèle de tourisme dans le Sud-Leyte peut être considéré comme le plus éco-responsable des Philippines pour les interactions avec les requins-baleines (une étude d’impact a été menée durant trois ans de 2013 à 2016)
  • grâce aux requins-baleines, les femmes réunies au sein l’association communautaire Sea Breeze parviennent à générer un complément de revenus, en fabriquant des souvenirs qui sont vendus aux touristes, au sein d’un atelier de couture créé avec l’organisation Sew Mates
Un petit souvenir, fabriqué par les femmes de Pintuyan. (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)
Un petit souvenir, cousu par les femmes de Pintuyan. (Sogod Bay, Leyte, Philippines, mars 2020)

Pour en savoir plus sur les différents programmes autour des requins-baleines menés par l’Institut LaMaVe dans le Sud-Leyte et ailleurs aux Philippines (Oslob, Donsol, Palawan, Tubbataha), vous pouvez visiter leur page (en anglais) ci-dessous :

Whale Sharks : Ensuring a future for the largest fish in the sea

Enfin, à défaut de le voir dans l’eau, on peut admirer le requin-baleine au verso des billets philippins de 100 pesos (moins de 2 €) émis à partir de 2010, signe qu’il est devenu un animal qui compte (un peu) dans le pays…

Depuis 2010, les billets de 100 pesos philippins (moins de 2 €) arborent au verso un requin-baleine. (Source : bsp.gov.ph)
Depuis 2010, les billets de 100 pesos philippins (moins de 2 €) arborent au verso un requin-baleine. (Source : bsp.gov.ph)

Voir aussi :

Tous mes voyages-plongée

Tous mes articles sur les Philippines

Tous mes articles parlant de plongée aux Philippines

Tous mes articles sur les requins-baleines

  Philippines : Sogod Bay [Leyte] + Moalboal [Cebu] + Pangatalan [Palawan] - mars 2020

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